Certains symptômes psychologiques persistent malgré l’absence de causes évidentes dans le vécu d’une personne. Les dynamiques familiales complexes montrent parfois des répercussions sur plusieurs générations, sans explication directe dans le parcours de vie individuel.
Des études cliniques ont établi des corrélations entre certains troubles et des événements survenus bien avant la naissance. Des mécanismes biologiques et psychologiques, longtemps sous-estimés, permettent à des expériences anciennes de se manifester sous des formes inattendues. Ces phénomènes restent difficiles à repérer et requièrent des critères précis pour en distinguer les signes.
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Comprendre le trauma transgénérationnel : quand l’histoire familiale façonne nos vies
Le trauma transgénérationnel ne se réduit pas à la transmission de souvenirs douloureux d’une génération à l’autre. Il façonne discrètement le vécu des descendants, se glissant dans les liens, les attitudes, les silences, parfois même dans la manière de se tenir à table ou de réagir face au monde. En France, les travaux sur les traumatismes transgénérationnels montrent comment des événements majeurs, guerres, exils, pertes, violences, laissent une empreinte durable chez les générations suivantes. La mémoire familiale, qu’on la raconte ou qu’on la taise, devient une matrice où se rejouent les séquelles psychiques et physiques des ancêtres.
Chez les familles de survivants de l’Holocauste, par exemple, les recherches de Rachel Yehuda à New York ont mis en évidence la persistance de symptômes de stress post-traumatique parmi enfants et petits-enfants, bien qu’ils n’aient jamais vécu eux-mêmes ces persécutions. Le trauma transgénérationnel se traduit par des peurs sans origine apparente, des réactions démesurées, ou encore par des schémas qui se répètent dans les choix de vie ou les relations.
Quelques signes à observer dans l’histoire familiale :
Certains indices devraient attirer l’attention si l’on cherche à repérer l’empreinte d’un trauma familial à travers le temps :
- Des non-dits qui persistent autour d’événements marquants dans l’arbre généalogique
- La répétition de scénarios de souffrance ou de difficultés chez plusieurs membres d’une même famille
- Des blocages émotionnels ou corporels qui ne trouvent aucune explication personnelle
- Des symptômes de mal-être qui semblent faire écho à un passé familial douloureux
La mémoire familiale et les secrets, souvent invisibles, dessinent une toile où chaque membre porte une part du vécu des générations précédentes. L’histoire familiale, loin d’être immobile, continue d’agir en filigrane sur la santé psychique et le parcours de chacun.
Quels mécanismes expliquent la transmission des traumatismes entre générations ?
Le trauma transgénérationnel s’infiltre dans la mémoire familiale via des processus plus complexes qu’il n’y paraît. Les recherches menées par Rachel Yehuda, professeure de psychiatrie à New York, ont montré que la transmission transgénérationnelle des traumatismes ne se limite pas au récit familial. La biologie s’invite dans l’équation : des modifications épigénétiques, provoquées par le stress post-traumatique, modifient l’expression de certains gènes et se retrouvent chez les enfants de survivants, notamment ceux de l’Holocauste.
Mais la transmission ne s’arrête pas là. Les dynamiques familiales jouent un rôle central : silences, secrets, peurs muettes, injonctions implicites. Ce qui ne se dit pas finit par se manifester autrement, anxiété, répétition de scénarios, blocages dans les relations. Anne Ancelin Schützenberger, figure de la psychogénéalogie en France, a montré qu’un événement non digéré chez un ancêtre peut ressurgir, parfois à la même date, dans la vie d’un descendant.
Voici les principaux vecteurs par lesquels ces traumatismes traversent les générations :
- Transmission biologique : modifications épigénétiques, hormones du stress, prédispositions à la vulnérabilité
- Transmission psychique : secrets familiaux, loyautés invisibles, identification inconsciente à la souffrance des parents
- Transmission sociale : récits familiaux, rôles assignés dans la famille, attentes silencieuses
La transmission transgénérationnelle des traumatismes influence profondément le destin des descendants. Les traces du passé survivent, parfois inscrites dans le corps, parfois cachées dans la répétition des histoires familiales.
Signes à repérer : comment se manifestent les blessures héritées ?
Repérer les marques du trauma transgénérationnel suppose de regarder sans détour ce qui freine ou entrave la vie quotidienne. La détresse ne s’exprime pas toujours à voix haute. Parfois, elle s’incarne dans des symptômes discrets, des attitudes, des silences pesants. Chez l’enfant, elle se traduit par des peurs qui n’ont pas de cause rationnelle, des cauchemars, une tristesse qui ne passe pas, ou un sentiment diffus d’insécurité. L’adulte, pour sa part, se heurte à des blocages émotionnels, reproduit inconsciemment certains schémas relationnels, ou s’isole, se sentant à part dans sa propre famille.
Les manifestations peuvent prendre la forme d’un trouble anxieux, d’une vigilance excessive, ou de symptômes physiques comme des migraines, des troubles digestifs, des tensions musculaires. Les séquelles post-traumatiques s’inscrivent aussi dans la mémoire corporelle, là où le récit familial s’est arrêté. Certaines familles, marquées par de grands traumatismes, vivent selon des codes implicites, des tabous, des fidélités silencieuses. L’enfant perçoit ce qui ne se dit pas, et porte, souvent sans le savoir, le fardeau des générations passées.
Quelques signaux méritent une attention particulière :
- Répétition de destins : divorces qui se succèdent, maladies qui se déclenchent à la même période, échecs scolaires qui reviennent
- Sentiment de décalage : difficulté à se sentir à sa place, incapacité à se projeter dans l’avenir
- Secrets de famille : non-dits persistants, zones d’ombre dans le passé familial
Ces signaux ne doivent pas être ignorés. Le trouble de stress post-traumatique ne touche pas seulement ceux qui ont vécu l’événement traumatique ; il se propage parfois dans toute la lignée, influençant la santé mentale des enfants et des petits-enfants. Corps, parole, choix de vie deviennent alors les messagers silencieux de cette mémoire héritée.

Explorer ses propres héritages et avancer vers la réparation
Donner un nom, relier les faits, reconstituer l’histoire : l’exploration commence souvent par la connaissance de l’histoire familiale. Interroger son arbre généalogique, rechercher les ruptures, les deuils, les secrets, ce n’est pas faire de la généalogie pour la postérité, mais mener une enquête vivante et personnelle. La psychogénéalogie, développée par Anne Ancelin Schützenberger, invite à décoder ces transmissions invisibles et à comprendre les répétitions qui jalonnent l’histoire familiale. Les ouvrages de Bruno Clavier ou d’Estelle Iung rappellent que la parole libère, qu’elle permet parfois de dénouer ce qui semblait figé.
Plusieurs démarches peuvent soutenir ce travail de clarification. La thérapie narrative propose de revisiter le récit familial, de donner une place à chaque voix, même à celles qui ont été réduites au silence. L’EMDR (désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires) ou la TABC (thérapie d’acceptation et d’engagement) accompagnent la mise en mots des blessures et favorisent la réparation intérieure.
Voici quelques pistes concrètes pour avancer sur ce chemin :
- Consulter un thérapeute spécialisé en psychanalyse transgénérationnelle ou en psychogénéalogie
- Favoriser le dialogue au sein de la famille, initier le partage entre les générations
- Identifier les ressources familiales et renforcer la résilience collective
À Paris, certaines cliniques ou des groupes animés par Hélène Dellucci privilégient l’écoute, la patience, l’absence de jugement. Le chemin vers la réparation n’est jamais tout tracé, il demande du courage, mais aussi la volonté de regarder les zones d’ombre pour transformer ce qui semblait immuable. Ouvrir la porte sur l’histoire familiale, c’est aussi offrir aux générations à venir la possibilité d’écrire un récit nouveau.

